Le titre de la sculpture associe la notion de République à celle de représentation des peuples, ce qui en fait la figure du « grand nombre ». Au-delà de sa masse, de son poids et de sa hauteur jouant avec les tours environnantes, l’allégorie oriente les consciences individuelles vers les grandes vertus abstraites qui rassemblent : vérité, devoir, solidarité, etc. La figure de Marianne en place publique se situe ainsi entre histoire de l’art et histoire de la pédagogie républicaine.
Georges Salendre remporta le premier prix de sculpture de l’école des beaux-arts de Lyon en 1913, après avoir été apprenti tailleur de pierre aux carrières de Grand-Corent, dans l’Ain. Il a allié la maîtrise technique de la taille directe à la connaissance de la pierre et développé un sens esthétique inscrit à la fois dans l’héritage de la sculpture classique et l’assimilation des enjeux formels de la modernité. La référence à Henri Matisse est connue dans l’œuvre de Salendre. Sculpteur autour de 1905, Matisse a supprimé tout élément narratif, anecdotique ou psychologique. Il renouvelle alors la sculpture en démontrant qu’avant d’être une figure, elle est faite de quelques kilogrammes de matière. La dénonciation des fictions, en sculpture, dégage le poids. Dans les sculptures de Matisse, les représentations de nus féminins sont des variations de l’indispensable prise de contact entre la figure et la terre.
La maquette de cette République des Peuples, intitulée Nu assis témoigne de cette filiation. Sculptée dans la pierre de Bourgogne, ses dimensions plus modestes que l’œuvre finale, permettent au regard de suivre la douceur des courbes, de mesurer cet appui qui maintient l’équilibre, de suivre ces passages entre la masse et la grâce tranquille. La maquette est la dernière version avant l’œuvre définitive, elle permet de se glisser dans le processus artistique de l’artiste et de mesurer l’écart apporté par le changement d’échelle. La pesanteur ainsi démasquée, permet aux sculpteurs à la suite de Matisse, de renouveler le vocabulaire formel. Ce sont alors des formes plus massives, plus compactes, « simplifiées » par la leçon du cubisme, un travail différencié des surfaces afin de jouer de l’ombre et la lumière.
En août 1914, Georges Salendre fut mobilisé et affecté au 6e régiment d’artillerie de campagne, unité au sein de laquelle il a combattu jusqu’en mai 1918, quand il fut grièvement blessé par une salve d’obus allemands en Champagne. Laissé pour mort sur le champ de bataille, il survécut grâce aux chirurgiens lyonnais. Sans doute dans la période de l’entre-deux-guerres, il adhère au parti communiste et milite avec des peintres et des écrivains dans le domaine artistique. C’est ainsi qu’il fut, en 1925, l’un des fondateurs de l’Union des arts plastiques qui a donné naissance au Salon du Sud-Est. C’est à cette occasion qu’il rencontra Utrillo et Suzanne Valadon, lesquels devinrent ses amis. En 1937, il reçut le grand prix de l’exposition internationale de sculpture de Paris. Dans ce contexte – bien que n’ayant pas de sources pour confirmer l’hypothèse – il est difficile d’écarter sa possible participation aux débats qui ont animé le Front Populaire vers 1935-1936 sur les enjeux du réalisme dans l’art. Débats d’idées animés pour développer « l’art pour tous » qui opposaient notamment deux grandes figures de l’art : Fernand Léger et Louis Aragon. Cependant, l’esprit unanimisme du Front Populaire semble l’emporter avec la recherche de ce qui unit plus que de ce qui divise. Georges Salendre partageait peut-être ce nouveau réalisme – issu des recherches de l’art moderne nourries notamment par le regard qu’ont porté tous ces artistes sur l’art des cultures extra-occidentales -, prôné par Fernand Léger.
Georges Salendre a ensuite tenu un rôle important dans la Résistance, participant aux combats pour la Libération de Lyon, il est du reste, l’auteur de nombreux monuments commémoratifs à la gloire des soldats morts pour la France. Son œuvre est très présente dans les espaces publics de Lyon métropole et au-delà, avec des thèmes sans cesse renouvelés, personnages politiques contemporains, scènes de vie quotidienne, scènes religieuses et la femme, sans doute l’un de ses sujets de prédilection.
Sylvie Lagnier, docteure en histoire de l’art